Concomitance d’événements reliés par le sens et non par la cause. » Derrière la définition austère, se cache un phénomène lumineux que nous avons tous expérimenté .
Les coïncidences fascinent les hommes depuis l’Antiquité, mais elles n’ont pris le nom de synchronicités – lorsqu’elles sont hautement signifiantes –, que suite aux travaux de Carl G. Jung avec le physicien Wolfgang Pauli. L’épisode qui a mené le grand psychologue suisse sur la piste des synchronicités est connu : une patiente lui rapporte un rêve dans lequel elle reçoit en cadeau un scarabée d’or. Jung entend alors un léger choc contre sa fenêtre ; il ouvre et recueille dans sa main un scarabée (cétoine) doré.
Il précise dans Synchronicité et Paracelsica qu’un tel événement ne s’était jamais présenté à lui avant, ni ne s’est reproduit ensuite. Précisément ! pointent les sceptiques : Jung attribue du sens à ce qui n’est qu’une coïncidence, entièrement due au hasard. Qui n’a fait l’expérience de s’intéresser aux synchronicités et d’en voir soudain partout ? C’est donc bien que l’on projette du sens sur ce qui n’en a pas. Autrement dit, c’est de la « pensée magique » ou du « délire d’interprétation ». À moins que le monde se mette réellement à « faire sens » quand on le regarde autrement. Certaines synchronicités peuvent en effet relever d’une forme de « miracle », lorsqu’elles permettent par exemple de débloquer une situation, de répondre à une question fondamentale, ou d’indiquer un chemin à suivre
Anges encyclopédiques
J’ai personnellement trouvé dans une foire aux livres d’occasion un ouvrage auquel j’avais pensé le matin même, tout en ayant oublié le titre. N’y pensant plus l’après-midi, je suis allé directement au fond de la salle et ce livre est le premier que j’ai sorti d’un carton. L’écrivain Arthur Koestler parlait d’« anges encyclopédiques » à propos de ces aides inattendues qui nous mettent entre les mains l’information livresque que l’on recherche. Ainsi, un livre tombe parfois ouvert à la bonne page ! De façon générale, beaucoup voient l’intervention de leur « ange gardien » ou de leur « guide » dans ces coïncidences signifiantes.
Auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, Jean Moisset donne des exemples pour distinguer coïncidence, sérialité et synchronicité. Au cours de vos vacances, vous rencontrez un ami : c’est une coïncidence. En plus de cet ami, vous rencontrez deux autres connaissances pendant votre séjour : c’est la sérialité. Mais, vous rendant sur votre lieu de vacances à Arcachon, vous voyez une affiche des Antilles qui vous fait penser à des amis partis vivre à la Martinique et dont vous êtes sans nouvelles depuis quinze ans. Arrivés sur place, vos voisins immédiats sont ces mêmes amis : synchronicité. Autre exemple, d’avant l’ère des téléphones portables : vous passez devant une cabine téléphonique et le téléphone sonne. Vous décrochez et avez au bout du fil un ami qui cherchait à vous joindre mais s’est trompé de numéro !
« Tout me parle »
Il faut tout de même prendre garde à ne pas voir des signes là où il n’y en a pas. L’écrivain Michel Cazenave a ainsi proposé que la synchronicité soit à l’origine de la somatisation, c’est-à-dire la « symbiose » corps-esprit qui fait que nous tombons malades apparemment sans cause. Dans son livre Ce qui est caché aux sages et aux intelligents, Thierry Salmeron met en garde contre les faux signes, produits du mental, et les vrais qui sont le résultat d’une présence consciente. Il cite les propos d’un grand chef indien : « Tout ce qui passe près de moi, me parle ». « Vous êtes guidés vers le meilleur pour vous, par des signes accessibles à vos sens », ajoute-t-il. Mais il va très (trop ?) loin en expliquant que le libre arbitre est néfaste, puisqu’il nous donne des choix permanents alors qu’il suffirait de suivre des signes qui nous sont « destinés ». Le libre arbitre serait ainsi à l’origine de la chute d’Adam et Ève.
Lâcher-prise et intuition
Le psychologue Jean-François Vézina, qui a publié Les Hasards nécessaires (Éditions L’Homme 2002), estime avec Michel Cazenave que « les synchronicités se produisent plus fréquemment en période de tension psychique, alors que la forme symbolique habituelle du rêve n’a pas réussi à se faire entendre. » Il ajoute : « La synchronicité vue sous cet angle n’est pas nécessairement “un cadeau magique” comme elle est parfois décrite dans le langage populaire. Encore que la souffrance peut être perçue comme une grâce. Je suis toujours amusé lorsque je lis dans un livre ou un article cette phrase : “Provoquez la synchronicité dans vos vies !” En réalité, la synchronicité échappe au contrôle du moi. On ne peut que se rendre disponible aux messages de l’inconscient qui empruntent cette voie. »
Être disponible aux messages de l’inconscient, cela revient à développer son intuition, peut-être en « lâchant prise ». La « lueur vacillante de notre intuition », comme l’appelle Jean-François Vézina, peut nous permettre de reconnaître des processus symboliques qui se déploient sous la forme de motifs, de « pentes qui nous attirent et nous conduisent imperceptiblement vers telle personne, tel travail, tel auteur ou encore tel pays. » L’identification de ces processus et motifs est un apport majeur de Jung, selon J.-F. Vézina.
Lien quantique
Mais Jung y voyait plus encore qu’un cheminement. Les synchronicités manifestaient selon lui l’unité du monde, l’Unus Mundus, à travers des relations « acausales » (sans relations de cause à effet) dont il voyait un écho certain dans les propriétés déroutantes de la physique quantique. C’est pourquoi il a travaillé sur le sujet avec Wolfgang Pauli, prix Nobel de physique en 1945. On sait en effet aujourd’hui de façon certaine que des particules élémentaires ayant interagi – par exemple des photons - restent connectées via un lien mystérieux et acausal. Toute mesure sur l’une des particules modifie instantanément l’état de l’autre, mais sans transfert d’information. Il n’y a pas de « communication » entre elles, mais la physique contemporaine est obligée d’accepter qu’elles forment un seul et même système physique, non local, même si elles se trouvent éloignées de plusieurs milliards d’années-lumière l’une de l’autre.
L’aspect initiatique des synchronicités a été mis en exergue dans des romans tels que La Prophétie des Andes (James Redfield) ou L’Alchimiste (Paulo Coelho). Être davantage à l’écoute, plus conscient, plus présent au monde, voilà qui ne saurait nuire. La coïncidence renvoie au hasard, mais le hasard, comme le miracle, n’est qu’une question de point de vue. Souvenons-nous que l’idéogramme chinois qui traduit le mot « hasard » désigne en fait la notion d’appariement, de couplage. Ainsi le Yi Jing (Livre des Transformations) reposait tout entier selon Jung sur un « principe synchronistique », qui fut sa première proposition de l’idée même de synchronicité. ●