Gaz de schiste : le New York Times soulève le problème de la radioactivité
Le dossier du quotidien américain basé sur de nombreuses interviews et la consultation de milliers de documents pointe notamment des niveaux très élevés de radioactivité dans les eaux usées des forages et les problèmes de traitement que cela pose. De quoi mobiliser un peu plus les opposants à l’utilisation de la fracturation hydraulique, technique utilisée pour l’exploitation des hydrocarbures de schiste (gaz et huile) alors que des permis d’exploration ont été accordés en France et en particulier dans le sud.
Animation du New York Times sur la fracturation hydraulique« Alors que l’existence de rejets toxiques avait été signalée, des milliers de documents internes obtenus par le New York Times provenant de l’Agence de protection de l’environnement [EPA], des autorités des états, des foreurs montrent que les dangers sur l’environnement et la santé sont plus grands qu’on ne le pensait. » Cette phrase pourrait résumer la teneur de l’article du quotidien New Yorkais rédigé par Ian Urbina et publié samedi – puis relayé dès dimanche par Fabrice Nicolino, un journaliste très impliqué dans le combat contre le gaz de schiste – sur les impacts environnementaux de l’exploitation du gaz de schiste aux États-unis. Essentiellement ceux liés à la question de l’eau. Le quotidien indique que le pays compte 493 000 puits en exploitation.
« Déversées dans des rivières qui fournissent de l’eau potable »
La révélation la plus importante concerne la gestion de la radioactivité des eaux usées provenant des forages : « Avec la fracturation hydraulique, un puits peut produire plus de 4 millions de litres d’eaux usées qui contiennent souvent des sels hautement corrosifs, des cancérogènes comme le benzène et des éléments radioactifs comme le radium, tous pouvant être présents naturellement à des centaines de mètres sous le sol. [...] Ces documents révèlent que les eaux usées, qui sont parfois transportés jusqu’à des stations d’épuration non conçues pour les traiter et qui sont ensuite déversées dans des rivières qui fournissent de l’eau potable, présentent des niveaux de radioactivité plus élevés que ceux connus auparavant et bien plus hauts que les niveaux considérés comme sûrs par les réglementations fédérales pour le traitement par ces stations d’épuration. »
Le journaliste poursuit : « D’autres documents et des interviews montrent que des scientifiques de l’EPA sont inquiets, avertissant que les eaux usées de forages représentent une menace envers l’eau potable en Pennsylvanie. Leurs préoccupations sont basées en partie sur une étude de 2009, jamais rendue publique, rédigée par un consultant de l’EPA et qui concluait que certaines stations d’épuration étaient incapables de traiter certains contaminants contenus dans ces eaux usées et qu’elles enfreignaient probablement la loi. »
« Stations de potabilisation en aval »
Le Times a aussi découvert des études jamais divulguées par l’EPA et une étude confidentielle de l’industrie du forage qui toutes concluaient que « la radioactivité dans les eaux usées ne pouvait pas être complètement diluées dans les rivières et dans d’autres voies navigables. » À noter que « des stations de potabilisation situées en aval des stations d’épuration en Pennsylvanie, avec la bénédiction des autorités, n’ont pas testé la radioactivité depuis 2006 alors que le boum des forages a commencé en 2008. En d’autres termes, il n’y a aucun moyen de garantir que l’eau potable issue de ces stations soit sans danger. » Précision : En Pennsylvanie, « le niveau de radioactivité dans les eaux usées est parfois 100 ou même 1000 fois le niveau maximum autorisé par la norme fédérale concernant l’eau potable ».
« Plus de 5,2 milliards de litres d’eaux usées ont été produites par les puits de Pennsylvanie lors des trois dernières années, bien plus que ce qui a été divulgué précédemment. La plupart de ces eaux usées – de quoi recouvrir Manhattan d’une hauteur de 7,5 cm – a été envoyée à des stations de traitement qui n’étaient pas équipées pour éliminer de nombreux produits toxiques contenus dans les eaux de forages. »
« Émanations contenant du benzène et du toluène »
Le quotidien évoque aussi la pollution de l’air. « L’état du Wyoming, par exemple, en 2009, n’a pas réussi à respecter les normes fédérales de qualité de l’air en partie en raison des émanations contenant du benzène et du toluène provenant d’environ 27 000 puits dont la grande majorité ont été forés ces cinq dernières années ». Au Texas qui compte 93 000 puits, une structure hospitalière présente dans six comtés a dit, en 2010, avoir constaté un taux d’enfants asthmatiques de 25 % alors que le taux de l’état est de 7%.
La contamination peut aussi venir de déversements (« spills »). Problème, les entreprises de forage doivent s’autocontrôler dans ce domaine : « En Pennsylvanie, il n’y a pas d’inspections inopinées des autorités pour identifier des signes de déversements. » Problème, « au moins 16 puits dont les archives montraient des niveaux élevés de radioactivité dans leurs eaux usées, ont mentionné des déversements, des faiblesses ou des défaillances dans leurs bassins dans lesquels le liquide de fracturation était stocké, selon les archives de l’état. »
« Moins cher de jeter l’eau que de la traiter »
Le Times cite l’ancien secrétaire du département de protection de l’environnement de Pennsylvanie, John Hanger. Il a démissionné et explique qu’il y a des pressions économiques pour réduire les coûts : « Cela coûte moins cher de jeter l’eau que de la traiter. » Et parfois les hommes politiques suivent. À l’image de Tom Corbett, le gouverneur républicain de l’état qui, selon le quotidien, « a reçu, pendant la campagne électorale, plus de contributions de l’industrie du gaz que tous ses adversaires réunis ». Et qui a dit – oh ! surprise – qu’il allait « rouvrir la terre de l’état à de nouveaux forages ». De plus, il aurait aussi déclaré que la réglementation a été trop contraignante (« agressive ») envers l’industrie gazière. Et dire que la campagne présidentielle ne fait que commencer en France…
À noter enfin, que le quotidien publie un grand nombre de documents confidentiels qu’il cite, propose une enquête vidéo de 7 minutes sur la pollution de l’air, une animation en 3D qui explique la fracturation hydraulique, la carte de 149 puits précisant les niveaux de contamination des eaux usées, un tableau Excel des produits chimiques présents dans les échantillons de plus de 200 puits. Mais mieux vaut lire et comprendre l’anglais.
De quoi patienter en attendant l’étude lancée par l’EPA « pour mieux comprendre les impacts potentiels de la fracturation hydraulique sur l’eau potable et les eaux souterraines ». Le résultat est attendu pour fin 2012
New York Times : « Regulation lax as gas wells’ tainted water hits rivers »