1 mars 2017
Le 20 juillet 1933, le cardinal Pacelli – futur Pie XII,signa un accord avec hitler
On n’a rien compris à Hitler si on ne tient pas compte de la période viennoise de son existence. Il a eu deux initiateurs dans sa politique avant 1914 : Lueger et son mouvement social-chrétien et les pangermanistes viennois. Il a assez bien marqué dans Mein Kampf ce qu’il devait aux deux, et la part de Lueger, bourgmestre catholique de Vienne, n’est pas la moindre. Le national-socialisme aurait pu être une sorte de mouvement Lueger. Après tout, ce dernier était bien antisémite, et Édouard Drumont dans son Testament d’un Antisémite (69), l’appelle « Lueger, le vaillant député catholique qui lutte avec tant d’intrépidité contre les Juifs ».
L’Église pouvait accepter qu’un État chrétien ne souhaita pas voir les Juifs prendre une place trop importante dans la société. Il y avait bien eu un ghetto dans la Rome pontificale. Elle pouvait admettre qu’une législation d’État refuse la nationalité allemande aux Juifs. La création de l’État d’Israël a révélé l’existence incontestable d’un sentiment national juif. Mais ce que l’Église ne pouvait admettre, c’était un antisémitisme basé sur l’affirmation d’un postulat d’impérialisme raciste.
S’il ne se fut agi que d’établir une carte du développement plus ou moins avancé des races humaines, ce n’eut été que constater l’ordonnance providentielle du monde, mais l’Église ne pouvait admettre que le catholicisme fut considéré comme une hérésie juive qui a « empoisonné l’esprit allemand » comme le proclamait alors von Schoenerer, chef des pangermanistes, en Autriche, vers 1890.
Avec le national-socialisme, les choses furent beaucoup moins nettes au début. Le 28 mars 1933, à Fulda, les évêques prussiens abrogeaient les mesures que la plupart d’entre eux avaient édictées contre le nationalsocialisme.
Le Zentrum votait pour Hitler lors de l’unique séance du Reichstag qui suivit l’arrivée du pouvoir du Führer (70). L’archevêque de Cologne autorisait l’accès en uniforme à la réception des sacrements, même en formations collectives et l’entrée des étendards nationaux-socialistes dans l’enceinte du culte (71).
« Nous ne considérons plus comme nécessaires les avertissements et défenses générales édictées à l’endroit du mouvement national-socialiste, avertissements et défenses arrêtées par Nous dans leur temps dans le juste souci du maintien de l’intégrité de la foi catholique et la sauvegarde des droits imprescriptibles de l’Église ? » (72)
« Nous approuvons la responsabilité totale du Chef, laquelle implique le droit à une obéissance absolue » écrivait la Germania, organe du Zentrum (73).
Le Zentrum, en prononçant sa propre dissolution en raison de l’instauration du parti unique, publiait une déclaration de l’ex-chancelier Brüning soulignant que les millions d’Allemands du Zentrum avaient une conscience de leur devoir de citoyens qui ne pouvait être pour le IIIe Reich que d’« un prix inestimable » et qu’ils constituaient « dans l’ensemble de la vie du Pays un facteur précieux qui, disait M. Brüning, ne pourra et ne devra pas être négligé quand il s’agira de défendre l’État et le peuple contre les puissances de décomposition » (74).
Dans un second manifeste, le Zentrum parlait de « contribution positive », de « dévouement sans réserve » à l’affermissement du « nouvel ordre de droit » (75).
Le national-socialisme a donc eu, à son arrivée au pouvoir, au moins la neutralité de l’Église. L’organe rhénan du Zentrum écrivait : « Il faut que les meilleures têtes du catholicisme et principalement la jeunesse ne se contentent pas d’une simple et insuffisante adaptation, mais se vouent avec passion à la tâche historique du national-socialisme. » (76)
Ce sont là des textes qui étonnent aujourd’hui, mais il n’est pas juste d’écrire une histoire en commençant par la fin. Le 20 juillet 1933, le cardinal Pacelli – futur Pie XII, alors secrétaire d’État de Pie XI – signait à Rome avec M. von Papen, agissant au nom du Führer, un Concordat qui reconnaissait que « l’enseignement de la religion catholique dans les écoles élémentaires, professionnelles, moyennes et supérieures est matière ordinaire d’enseignement et sera donné conformément aux principes de l’Église catholique ».
Pour la première fois dans l’Histoire, l’Église catholique obtenait un statut en Allemagne. Décidément, l’Église et l’État national-socialiste vont-ils pouvoir vivre en paix ?
Que disait Mein Kampf là-dessus ? « Je n’hésite pas à déclarer que je vois dans les hommes qui cherchent aujourd’hui à mêler le mouvement raciste aux querelles religieuses, les pires ennemis de mon peuple que ne le peut être n’importe quel communiste internationaliste ». « […] Le protestant le plus croyant [peut] marcher dans nos rangs à côté du catholique le plus croyant », sans que sa conscience entre « le moins du monde en conflit avec ses convictions religieuses ».
Il combattait le Zentrum, sans doute, mais, disait-il, « non pour des raisons religieuses, mais exclusivement au point de vue national, raciste, économiques » (77).
Mais l’équivoque était là, prête à éclater : « Celui qui se tient sur le plan raciste a le devoir sacré, quelle que soit sa propre confession, de veiller à ce qu’on ne parle pas sans cesse à la légère de la volonté divine, mais qu’on agisse conformément à cette volonté qui a jadis donné aux hommes leur forme, leur nature et leurs facultés. Détruite son oeuvre, c’est déclarer la guerre à la création du Seigneur, à la volonté divine. » (78)
Il réclame « à la place d’un commandement de l’Église […] un avertissement solennel invitant les hommes à mettre enfin un terme au vrai péché originel, aux conséquences si durables, et à donner au Créateur tout-puissant des êtres tels que lui-même les a d’abord créés ? » (79)
Évidemment, Hitler et l’Église ne parlent pas le même langage. Placer le péché originel dans la faute contre la race, c’est détourner les mots de leur sens traditionnel.
On a pu espérer à Rome que, du moins, la coexistence pacifique serait possible entre l’Église et l’État. Il y avait quelques raisons d’espérer.
« Les idées et les institutions religieuses d’un peuple doivent toujours rester inviolables pour le chef politique ; sinon qu’il cesse d’être un homme politique et qu’il devienne un réformateur s’il en a l’étoffe ! Une autre attitude, en Allemagne surtout, doit conduire à une catastrophe. Même si une telle confession donne vraiment prise à la critique, un parti politique ne doit jamais oublier le fait que l’Histoire n’enregistre aucun exemple où un parti ait pu aboutir à une réforme religieuse. On n’étudie pas l’Histoire pour oublier ses leçons au moment même où il s’agit de les appliquer dans la pratique ; ou bien pour penser que leurs vérités séculaires peuvent ne plus être appliquées parce que la situation actuelle est tout autre ; on l’étudie pour en retirer des enseignements pour le présent. Celui qui n’est pas capable de faire cela, ne doit point s’imaginer qu’il est un chef politique ; il n’est en réalité qu’un pitre plat, quoique souvent présomptueux, et toute sa bonne volonté ne peut excuser son incapacité politique. » (80)
En août 1936, il assure encore : « Je m’efforcerai de protéger les droits des deux grandes confessions chrétiennes et d’établir l’harmonie avec les conditions de l’État d’aujourd’hui.» (81)
Il est arrivé quelque chose de curieux à Hitler. Il s’était promis de ne pas entrer en conflit avec Rome et il se laissera entraîner par les théoriciens antichrétiens de son parti comme Rosenberg ; il avait fort bien vu que l’avenir de l’Allemagne dépendait d’une entente entre celle-ci, l’Angleterre et l’Italie et il se mettra en situation d’entrer en conflit avec la plus puissante des deux ; il avait retenu de la guerre de 1914 que l’erreur avait été la lutte sur deux fronts et il déclarera la guerre à la Russie en pleine lutte avec les démocraties occidentales. Auparavant, il aura fait alliance avec Staline après avoir dit dans Mein Kampf qu’une telle alliance serait « la fin de l’Allemagne » (82). Et, le plus curieux, c’est que tout ce qu’il avait prédit arriva mais ce fut lui qui en fut cause.
Cet homme, qui a énormément parlé et écrit, s’est-il perdu dans l’immensité de son oeuvre ? S’est-il jamais relu ? Autant sa doctrine forme un tout cohérent qu’on est libre d’approuver ou de rejeter, autant ses actes paraissent incohérents, dictés par des impulsions contradictoires.
À peine a-t-il conquis Sir Neuville Chamberlain à l’idée que les peuples de race germanique ont le droit de s’unir dans un même empire : « Ein Volk, ein Reich, ein Führer ! » qu’il annexe la Bohême, menace la Pologne. Bref, passe de la position solide de l’État völkich au pangermanisme impérialiste absorbant des nationalités non germaniques.
Il y a eu tant d’Hitlers contradictoires qu’on ne sait plus lesquels croire. Il lasse, puis il inquiète. Ses adversaires n’ont pas toujours raison, mais il a de plus en plus tort. Le plus grave, c’est qu’il compromet un certain nombre d’idées justes dans le tourbillon de son agitation.
Il donne leur chance aux démocraties que l’Europe était en train de rejeter. Il permet leur alliance avec le communisme, épuise un peuple admirable de discipline, ne résout rien, complique tout et finit d’une manière tragique dans une sombre horreur.
Jacques Ploncard d’Assac – Doctrines du nationalisme (1958)
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69 Drumont Édouard, Le Testament d’un Antisémite, p. 136.
70 Revue des deux Mondes, 1933, t. II, p. 950.
71 Revue des deux Mondes, 1933, t. III, p. 762.
72 Déclaration des évêques allemands à Fulda, in Revue des deux Mondes, 1933, t. III, p. 771.
73 Cité par la Revue des deux Mondes, 1933, t. IV, p. 478.
74 Revue des deux Mondes, 1933, t. IV, p. 768.
75 Revue des deux Mondes, 1933, t. IV, p. 768.
76 Revue des deux Mondes, 1933, t. IV, p. 774.
77 Hitler Adolf, Mon Combat, p. 559.
78 Ibid., p. 558.
79 Ibid., p. 404.
80 Ibid., p. 121.
81 Hitler Adolf, Discours du 17 août 1934.
82 Hitler Adolf, Mon Combat, p. 659.
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