Nouvelle loi anti-terrorisme :: Débusquer l’Oussama qui sommeille en vous
La Ligue des droits de l’Homme l’a qualifiée de « floue, imprécise et contraire au principe de la légalité ». L’avocat Raf Jespers voit là une tendance dangereuse. Avec la nouvelle loi anti-terrorisme, c’est en effet un vaste ensemble d’activistes qui est visé.
Le 30 janvier dernier, la commission Justice du Sénat a approuvé un projet de loi qui rend punissable l’incitation indirecte au terrorisme, le recrutement et l’entraînement de terroristes. Notre pays transpose ainsi dans sa législation nationale une décision-cadre européenne. Mais cette nouvelle loi n’est pas au goût de tout le monde.
Le texte est « flou, imprécis et viole le principe de légalité » a déclaré la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Pour la Ligue, cette loi soulève de « sérieuses questions » en terme de « respect des libertés fondamentales ». « C’est clairement une ingérence dans les libertés d’expression, de presse, d’association, mais également syndicales », a déclaré Manuel Lambert, juriste à la Ligue, dans une interview au journal Le Soir.
Il souligne en outre que cette proposition de loi ne respecte pas le principe de légalité : « Le juge devra spéculer sur toutes les lectures possibles d’un message transmis. Il devra ensuite tenter de déceler l’intention à la base de la diffusion de ce message, alors que le message lui-même est susceptible d’interprétations diverses. »
Alexis Deswaef, président de la LDH dénonce « qu’à l’avenir, tous les discours, qu’ils soient militants, associatifs ou droit-de-l’hommistes, pourront être interprétés comme une forme d’incitation indirecte au terrorisme ».
Raf Jespers, avocat chez Progress Lawyers Network, parlait déjà dans son livre Big Brother in Europa de cette décision-cadre européenne et arrivait à la même conclusion : « Il est logique de prendre des mesures contre des terroristes comme Oussama Ben Laden. Le problème, c’est que les lois anti-terrorisme visent un groupe beaucoup plus vaste. »
Il y a des chances pour que cette loi entraîne chez les journalistes et les intellectuels une sorte d’autocensure, ajoute Raf Jespers. « Un journaliste, par exemple, osera-t-il encore écrire que le Hamas défend les droits légitimes des Palestiniens, sachant que cela pourra être interprété comme une incitation au terrorisme ? »
Cette « incitation » au terrorisme est très vaste. Dans le projet de loi il est littéralement question de « diffuser ou rendre public un message qui préconise directement ou non la commission d’infractions terroristes, avec le risque que celles-ci puissent être commises ».
Autrement dit « l’incitation » ne doit pas nécessairement déboucher sur des résultats tangibles, il suffit que le message « comporte un risque ». « On se retrouve ainsi aux royaumes des hypothèses, poursuit Raf Jespers. Il n’y a plus de sécurité juridique. Ce ne sont que suppositions et hypothèses. Ce sont des principes dangereux en droit pénal. »
« L’extension des lois anti-terrorisme conduira probablement à d’incroyables contrôles sur Internet, explique Raf Jespers. Des milliers de sites web seront surveillés et peut-être paralysés. Les médias alternatifs et les sites de mouvements associatifs, dissidents politiques et avis critiques risquent bien de devenir les dindons de la farce. »
Les mouvements de solidarité qui apportent un soutien moral, matériel et parfois politique aux pays du Tiers Monde et aux mouvements qui dans ces pays réclament de profonds changements sociaux sont également dans le collimateur. « Une ONG qui envoie du personnel médical dans la Bande de Gaza et qui, là-bas, entre en contact avec le Hamas sera-t-elle considérée comme une organisation qui recrute pour le Hamas pour avoir envoyé des coopérants dans ces territoires ?, se demande Raf Jespers. Et qu’en sera-t-il d’un livre qui témoigne sa sympathie à un mouvement de guérilla dont le nom figure sur la liste des organisations terroristes ? C’est tout simplement la porte ouverte à la criminalisation de la solidarité avec certains mouvements dans le Tiers Monde. »