Projet AirSeaBattle US ou comment Rompre ou détruire la chaîne de frappe chinoise
Tandis que le Pentagone affirme que sa nouvelle doctrine d’AirSeaBattle ne vise aucun adversaire particulier, les Chinois se découvrent comme la principale cible et puisque le concept suggère que les Etats-Unis frapperaient la Chine avant que cette dernière ne frappe les forces américaines, ceci, « pourrait précipiter une course aux armements coûteuse et déstabilisatrice, et faire en sorte qu’une crise conduise plus probablement vers les hostilités ». Voilà l’avertissement lancé par deux chercheurs de la Rand Corporation, un groupe de réflexion de haut niveau proche du ministère américain de la Défense.
Les deux chercheurs, David Gompert et Terrence Kelly, ont publié leurs conclusions dans un article de la revue Foreign Policy, daté du 3 août (une publication du Council on Foreign Relations (CFR), un club influent au cœur de l’establishment de la côte Est américaine), ainsi que dans un rapport de 220 pages de la Rand Corporation le même jour.
Gompert et Kelly soulignent que la doctrine AirSeaBattle envisage, afin de surmonter les soi-disants capacités de déni d’accès et d’interdiction de zone (Anti-Access/Area Denial, A2/AD) de l’ennemi, de « rompre la chaîne de frappe », c’est-à-dire à viser les senseurs et systèmes de commandes qui contrôlent les missiles de la partie adverse. Une fois détruites les capacités de cette dernière, vos forces seront en mesure d’opérer avec beaucoup moins de risque. Voilà en quoi consiste, écrivent Gompert et Kelly, AirSeaBattle mais également le grand risque stratégique.
Rompre ou détruite la chaîne de frappe chinoise est une idée séduisante, poursuivent-ils, mais la Chine a les ressources pour menacer les forces américaines dans le Pacifique. Un échec dans le développement de contre-mesures laisserait les Etats-Unis avec une capacité d’opération militaire, de dissuasion à l’égard de la Chine et de soutien de ses alliés en déclin, ainsi qu’une capacité affaiblie à exercer son influence dans cette région vitale. Cette simple idée pourrait avoir des conséquences désastreuses : les cibles d’AirSeaBattle devraient être touchées avant qu’elles ne causent des dommages significatifs aux forces américaines. A l’exception des navires et des satellites en orbite, les cibles qui comprennent la chaîne de frappe chinoise, – bases aériennes et navales, lanceurs de missiles, senseurs terrestres, centres de commande et de contrôle – sont situées en Chine elle-même.
« Attaquer le territoire chinois aurait de sérieuses répercussions géopolitiques », ajoutent-ils. La Chine de 2013 n’est pas l’Union soviétique de 1980. La Chine est une partie intégrale de l’économie mondiale et un partenaire potentiel des Etat-Unis dans la gestion des affaires de la planète.
Et puis la « Chine est plus en mesure de nous concurrencer en termes technologiques que ne l’a jamais été l’Union soviétique ». Ceci signifie que la Chine est capable d’attaquer ces réseaux mêmes dont dépend AirSeaBattle pour attaquer les réseaux chinois, ce qui risque de provoquer une cyberguerre dont personne n’est en mesure d’appréhender les implications.
Les forces américaines dans le Pacifique occidental sont en fait en train de devenir plus vulnérables aux contre-mesures chinoises, et AirSeaBattle pourrait fournir un palliatif à cette vulnérabilité, concèdent-ils, « mais elle peut également aggraver les craintes chinoises à l’égard des intentions américaines, provoquer les Chinois à redoubler leur effort A2/AD – qu’ils considèrent comme éléments essentiels de leur défense nationale – et accroître la probabilité d’un conflit ».
Puisque AirSeaBattle place une prime sur des premières frappes, et que les Etats-Unis ont initié deux conflits en Irak avec des premières frappes, il s’ensuit que ceux qui doivent se défendre contre de tels agissements peuvent décider de frapper les premiers, « même s’ils n’avaient pas prévu de déclencher une guerre. C’est une situation dangereuse lorsque les deux côtés mettent une prime à une première frappe. »
« Le plus inquiétant, d’un point de vue stratégique, est que AirSeaBattle prend en compte comment une guerre contre la Chine pourrait commencer mais laisse de côté les questions de savoir quel cours prendrait ensuite une telle guerre, où elle pourrait conduire et comment on pourrait y mettre fin dans des termes qui seraient favorables aux Etats-Unis », écrivent Gompert et Kelly. « C’est une chose que d’attaquer l’Irak ou la Libye (ou même l’Iran). C’est tout autre chose que d’attaquer le deuxième Etat le plus puissant [du monde]. »
L’alternative à tout ceci, concluent-ils, est que les Etats-Unis doivent disposer leurs forces de manière à compliquer leur ciblage par la Chine, sans menacer cette dernière de premières frappes sur son territoire, tout en étant encore capables de contrer les mouvements agressifs de toute puissance régionale, ajoutant ainsi de la stabilité plutôt que d’en enlever. D’autres ont proposé une approche similaire, en particulier le colonel des Marines à la retraite T.X. Hammes de l’Université nationale de la Défense, avec une stratégie qu’il appelle Contrôle Off-Shore [Stratégie de blocus naval qui prévoit de bloquer le détroit de Malacca], également conçue pour dissuader une agression chinoise potentielle sans forcément menacer le territoire chinois.
Ajoutons toutefois que tant qu’on ne s’attaque pas au principal problème, qui est la crise financière transatlantique en cours, les efforts géopolitiques britanniques pour une guerre globale ne pourront être déjoués.