12 juillet 2014
Franc-Maçonnerie Et Confréries Soufies
Au tout début du XVe siècle, une forme de sociabilité prémaçonnique originaire du midi de la France – l'Ordre de la Grappe – est apparue à Istanbul dans le milieu des marchands français et s'est trouvée très rapidement apparentée par les Turcs à leurs confréries soufies.
La même attitude a été adoptée face à la franc-maçonnerie à Istanbul, en Anatolie et même dans les provinces arabes de l'Empire, en particulier en Égypte. Réciproquement, les confréries soufies ne laissaient pas les francs-maçons indifférents.
La même attitude a été adoptée face à la franc-maçonnerie à Istanbul, en Anatolie et même dans les provinces arabes de l'Empire, en particulier en Égypte. Réciproquement, les confréries soufies ne laissaient pas les francs-maçons indifférents.
Un intellectuel juif égyptien, James Sanua, soulignait, au début du xxe siècle, que les confréries de derviches méritaient d'être étudiées de plus près parce qu'elles présentaient plusieurs parentés avec la franc-maçonnerie.
De même, J. P. Brown, Grand Maître de la Grande Loge Provinciale de Turquie « Grande Loge d’Angleterre » basée à Istanbul, et orientaliste spécialisé dans l'étude du soufisme, a écrit que les derviches de la confrérie mélami « se considéraient quasiment comme des francs-maçons et qu'ils étaient tout disposés à fraterniser avec ces derniers ».
En 1867, cette confrérie avait la réputation, d'après Brown, d'être une association de « francs-maçons musulmans ».
Dès le milieu du XIX ° siècle, plusieurs membres de confréries religieuses (appelées tariqa, « voie », en islam) avaient épousé les idées du siècle sous la férule de quelques cheikhs éclairés.
Leur projet était social, politique et religieux, et puisque sa réalisation passait par une collaboration avec des Intellectuels ou des politiques occidentaux, quoi de plus naturel que de s'intéresser à la « confrérie » des penseurs occidentaux, à ce qui s'apparentait le plus à leur tariqa, avec ses rites et ses secrets, c'est-à-dire à la franc-maçonnerie.
Il fallait pour ces soufis être instruit sur les usages et les secrets de cette tariqa occidentale, à la seule différence que ces secrets étaient de l'ordre du philosophique et du social plutôt que religieux et mystiques (secrets de la réussite politique et technologique de l'Occident...).
La spiritualité n'en était pas absente mais elle n'était pas prioritaire pour la plupart d'entre eux. Le rapprochement entre les deux ordres est net ; les francs-maçons sont, pour les Ottomans et les Arabes, les soufis de l'Occident ; d'ailleurs, dans les rituels maçonniques traduits en turc, on relève, entre autres, que le mot « rite » dans l'expression « Rite Écossais Ancien et Accepté » a été traduit par le mot tariqat, ce qui donne « Tariqa Écossaise ancienne et acceptée » (Iskoçya fariqat-i qadime ue makbule).
D'un autre côté, les traducteurs des rituels s'étaient inspirés des manuels du compagnonnage musulman (futuwwah chez les Arabes ; ahilik chez les Turcs), fortement marqués par la mystique soufie, pour rendre de la manière qui leur semblait la plus fidèle certains termes maçonniques français.
À noter qu'en Iran aussi la terminologie du soufisme a facilité la traduction en persan des rituels maçonniques.
Les raisons pour lesquelles la franc-maçonnerie et les confréries soufies ont été apparentées s'expliquent également par l'existence de plusieurs points communs et d'analogies, sur le plan symbolique comme philosophique.
Le fait que ce sont surtout les membres de la confrérie soufie des Bektachis qui sont allés vers la franc-maçonnerie repose sur quelques particularités propres à cette confrérie qui la distinguent des autres Ordres soufis comme la Naqchbandiyya, la Qadirirya ou la Chaxlliyya.
La cérémonie d'initiation chez les Bektachis est ce que l'on peut appeler une véritable cérémonie d'initiation avec mort simulée et résurrection, à l'image des mystères* de l'Antiquité et de la cérémonie du degré de maître dans la franc-maçonnerie.
Cela distingue la confrérie des Bektachis des autres confréries où l'initiation consiste généralement dans la transmission de la technique de prononciation des prières répétitives (dihkr).
D'autres ressemblances, sur le plan des symboles, entre ces deux confréries ont parfois amené leurs membres à s'entraider.
Autre point commun entre ces deux ordres, la confrérie des Bektachis est une société secrète qui n'admet dans ses assemblées que des membres de l'Ordre, à la différence encore des autres confréries dont les réunions sont ouvertes à tous les musulmans et même aux non-musulmans.
Enfin, la nécessité de conserver le secret de ce qui aura été vu et entendu en assemblée est un des grands principes de cet Ordre soufi, comme en franc-maçonnerie.
Une tolérance, inhabituelle en islam et dans les Ordres mystiques en général à l'égard des autres religions, caractérise aussi la confrérie des Bektachis.
Cela n'a pas été sans provoquer la fureur de nombreux hommes de religion « mollah », prompts à dénoncer l'hérésie d'une telle organisation.
Ainsi, comme les francs-maçons, les Bektachis ont été accusés d'être des athées. Un auteur français, de passage dans l'Empire, en 1899, disait des membres de cette confrérie qu'ils étaient « sceptiques, épicuriens, très jaloux du pouvoir, un peu socialistes, mais par ailleurs désintéressés et philanthropes ».
Quant à Riza Tevfik, Grand Maître du Grand Orient Ottoman et poète bektachi, il écrivait que « cet Ordre de derviches est le plus libéral parmi tous les autres Ordres ésotériques ».
On signalera en outre le séjour en Turquie, entre 1908 et 1913, d'un certain Rudolf Freiherr Sebottentorf, occultiste allemand membre de la Société de Thulé, qui fréquenta, à cette occasion, les loges maçonniques turques et les assemblées de Bektachis.
Mais ce dernier ne nous donne pas, dans son étrange ouvrage – La Pratique opérative de l'ancienne franc-maçonnerie turque (1924) –, un panorama fidèle de ce qu'était cette confrérie soufie.
Il semble que Sebottentorf se soit employé à construire un système nouveau à l'intention des seuls Occidentaux ; on lui attribue aussi la constitution d'une « loge mystique » à Istanbul où il dénonçait l'état de décadence de la franc-maçonnerie moderne.
Plusieurs tentatives de fusion entre la franc-maçonnerie et les confréries soufies sont apparues dans l'Empire ottoman et en Iran au tournant du siècle : la première a donné, en Iran, en 1899, l'organisation Andjouman-i Oukhoumwat dissoute en 1979 par la République islamique d'Iran ; la seconde tentative, qui fut de courte durée (1920-1925), a vu la naissance, en Turquie, de la Tariqat-i salahiyye*.
Enfin, il importe de noter que la vision de la franc-maçonnerie comme tariqa occidentale n'a pas totalement disparu avec l'effondrement de l'Empire et la naissance de la Turquie moderne (1923).
On sait que parmi les premières mesures anti-religieuses prises en 1925 par Atatürk se trouvait la suppression des confréries soufies.
Cette mesure est encore en vigueur aujourd'hui en dépit des protestations des musulmans. Or, en 1977, dans un quotidien turc, des religieux ont exigé pour leurs tariqat le même droit, c'est-à-dire la liberté, que celui qui avait été octroyé, en 1948, par la République d'Atatürk à la société qu'ils considéraient comme leur équivalent, la franc-maçonnerie : « Les loges (dergah) de l'islam sont encore fermées, mais celles des francs-maçons sont ouvertes, laissez donc le soufisme s'épanouir en toute liberté. »
Source Documentaire : Encyclopédie de la franc-maçonnerie – Auteur Thierry Zarcone –
Source Documentaire : http://averroes-roubaix.org
Publicité
Publicité
Commentaires