Atlantico : Selon une récente étude internationale de WIN/Gallup, la France serait le 4ème pays le plus athée au monde avec 29% de ses habitants qui se déclarent "athées convaincus" derrière la Chine, le Japon et la République tchèque. Comment expliquer cette caractéristique française ? Est-ce uniquement dû à notre passé révolutionnaire ?
Jean-Sébastien Philippart : Il est certain que la volonté des Lumières de rejeter tout fondement religieux afin d’établir les principes fondamentaux d’une morale non confessionnelle et universelle constitue l’un des traits caractéristiques de l’"esprit" français. A cet égard, la laïcité "à la française" s’est toujours assimilée facilement à un combat en faveur de la liberté de conscience et de connaissance que toute religion semblerait menacer par nature.
Toutefois, il ne faut pas oublier qu’aux yeux d’une partie des Lumières, l’athéisme, certes moins meurtrier que le fanatisme religieux, devait être condamné pour cause d’immoralisme (l’athée n’étant pas jugé digne de foi). Alors que les Lumières défendaient la perfectibilité humaine — et donc admettaient une déchéance toujours possible de l’homme —, c’est au positivisme et au comtisme en particulier que l’esprit français doit l’idée assurée que la religion (l’"état théologique") constitue un moment dépassé par l'"état métaphysique", puis par l’"état positif" émanant des sciences les plus abstraites pour s’emparer ensuite des sciences humaines. Or Jules Ferry, dont on connaît l’importance dans la constitution de l’identité républicaine, fut le promoteur de cette doctrine. Pour lui, la science s’oppose désormais victorieusement à la religion dont les illusions théologiques ne tiennent plus debout. Si, aujourd’hui, le positivisme a été à son tour dénoncé à titre de mythologie (par les mêmes sciences qu’il a lui-même promues), son spectre ne cesse d’être efficient et explique selon moi que le phénomène perdure.
Quels sont les autres facteurs politico-historiques et sociologiques qui nous différencient des pays "comparables" à la France ?
L’explication tourne toujours autour du concept de laïcité que seuls des pays comme la France et les Pays-Bas ont inscrit dans leur constitution. Si la laïcité espagnole a ceci de commun avec le modèle français de présenter une déconfessionnalisation de l’Etat, les conditions dans lesquelles elle s’est opérée vont en donner une autre figure. Dans la mesure en effet où l’Eglise, par souci de réalisme, s’est montrée plutôt conciliante vis-à-vis du processus de sécularisation, elle jouit aujourd’hui encore en Espagne d’une grande liberté organisationnelle et d’expression. Comme l’Italie, l’Espagne reste sous un régime concordataire. Malgré le passé compromettant de l’Eglise de part et d’autre sur le plan politique (accords du Latran, appui au régime franquiste), les deux pays n’ont jamais véritablement remis en cause le rôle de la religion. Le catholicisme demeure la religion d’une grande majorité des italiens, tandis que l’Etat finance les écoles religieuses et maintient l’enseignement religieux dans les écoles publiques. Et face aux plaintes devant l’ostension d’un crucifix dans une classe, le Conseil d’Etat italien a souvent justifié son maintien par la valeur culturelle de l’objet. Il semble donc que l’enjeu soit le rapport au passé, en l’occurrence, à la religion historique. Il y a peut-être en France quelque chose du passé qui ne veut pas passer. Quant au Royaume-Uni, le concept de laïcité y paraît bien étranger. Pour des raisons historiques en effet, le chef d’Etat est gouverneur suprême de l’Eglise d’Angleterre tandis que le Parlement contrôle la doctrine, le culte et nomme le personnel dirigeant. Et paradoxalement, c’est au nom de cette union que l’Angleterre tolère l’expression des autres religions.
Dans quelle mesure déclarer que l’on est "athée convaincu" relève-t-il d’une posture sociale plutôt que d’une conviction ? Ce chiffre reflète-t-il une réalité ?
L’athéisme est une forme de croyance : celle qui affirme que l’au-delà n’existe pas. Or dès le moment où elle s’exprime — et comment une affirmation pourrait-elle ne pas devoir s’exprimer ? —, la croyance tombe dans le domaine public et se confronte à d’autres convictions face auxquelles elle se maintient, se renforce ou se déforce. Mais il y a plusieurs manières d’être athée. L’athéisme peut se confondre avec le laïcisme (militant) comme il peut assumer pacifiquement l’héritage religieux en y reconnaissant des valeurs essentielles. Et de la même manière que des catholiques s’affirment aujourd’hui "non-pratiquants", on peut imaginer des athées non-pratiquants, c’est-à-dire ne cherchant pas à convaincre. Eu égard au contexte français évoqué plus haut et à la forte augmentation statistique (en 2005, l’étude comptait 14% d’athées en France), je dirais qu’il doit y avoir une bonne part d’athéisme qui s’exprime ici en guise de conscience citoyenne. Devant notamment les affaires de pédophilies qui ont fortement sali l’Eglise et devant un islam qui ne fait pratiquement parler de lui que de manière négative, la posture athée s’impose comme un devoir contre la violence extrême dont peut être génératrice la religion.
La France est-elle en avance ou en retard sur l’histoire ? Diriez-vous que le reste de l’Occident a déjà traversé cette étape d’athéisme ou qu’il va la traverser ?
Votre question est bien française en ce qu’elle suppose une marche linéaire de l’histoire à la manière positiviste. La synchronie nous révèle tout autre chose : un ensemble complexe de tensions. Le développement de l’islam, sans organisation véritable, oblige le christianisme en Europe à repenser les modalités de son affirmation au risque de diviser un peu plus les chrétiens ou de les agglomérer dans l’identitarisme. Face à ce retour du religieux, les progressistes montent au créneau et le besoin de laïcité se fait toujours plus pressant çà et là, mais en se confrontant par la même occasion à l’identité historique et culturelle du pays que ce besoin ne manque pas de réveiller. Tensions également entre les nations et les institutions européennes, lesquelles défendent une vision strictement contractuelle du lien social, au mépris de l’histoire et des histoires à travers lesquelles les hommes se reconnaissent les uns les autres. A cet égard, l’Europe ultra-libérale défendant un universalisme abstrait où les préférences de n’importe qui vaudraient les préférences de n’importe qui d’autre, dans les limites de la simple tolérance, cette Europe déracinée donc, réduite aux bruits et aux cris d’un gigantesque marché, rejoint les aspirations les plus progressistes. Toutes ces tensions se croisent et se recroisent en direction d’un avenir incertain…
Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure
L’athéisme est une pensée irrationnelle magique
Ce constat de la contingence de l’univers et des choses créées, les sciences positives auxquelles notre société athée et les penseurs matérialises attachent tant d’importance [3], nous enseignent que l’Univers a commencé d’exister ; qu’il fut un temps où il n’existait pas ; un temps où tous les éléments matériels qui le composent, et qui seuls existent, puisque seule existe la matière, n’existaient pas. L’Univers, selon cette thèse, se serait donc donné l’être tout seul – puisque lui seul existe. C’est l’univers lui-même qui aurait provoqué le Big Bang. C’est l’univers lui-même qui aurait décidé un jour : « Tiens ? Je n’existe pas. Il faudrait quand même que j’existe. Donc : Big Bang ! et me voilà, j’existe ! »
Pour Karl Marx,
l’univers ne doit son existence qu’à lui-même…
Or ce petit scénario enfantin ne marche pas car il y a un problème, un tout petit problème en apparence mais immense dans ses conséquences, c’est que si un être était capable de se donner l’être à lui-même, cela voudrait dire qu’il existait déjà avant d’exister, ce qui logiquement est impossible. Et s’il existait déjà, il n’aurait pas eu besoin de se donner l’être qu’il possédait déjà. Autrement dit, si l’univers était le seul être, l’être unique et incréé, il devrait nécessairement être éternel et sans changement car un être unique et incréé qui commence d’exister est impensable, absurde. Pourtant ce que les astronomes nous apprennent aujourd’hui de l’univers c’est qu’il n’a pas toujours existé ; qu’il a eu un commencement – ils nous donnent même approximativement son âge : environ 15 milliards d’années…On est donc conduit à affirmer contre toute raison, dans la perspective athée si l’on veut tenir à cette fable, la génération spontanée de l’univers puisque lui seul existe. L’univers s’est créé tout seul. Il n’a pas de géniteur. Il est l’être merveilleux qui se donne l’être à lui-même. Le seul qui soit capable d’une telle prouesse.
L’athéisme ne peut donc être considéré comme une opposition sérieuse aux métaphysiques croyantes. Non seulement l’athée ne démontre pas l’inexistence de Dieu, mais beaucoup plus gênant : il ne nous montre pas comment l’univers pourrait être ce qu’il est comme il est, sans Dieu. C’est pourtant le minimum qu’on serait en droit d’attendre de la part d’un interlocuteur non croyant ! Qu’il nous explique comment l’univers peut exister et évoluer comme il le fait sans Dieu ; qu’il remplace l’explication « Dieu » par une autre explication, au moins aussi satisfaisante sur le plan rationnel ! Il ne suffit pas de rejeter en bloc un système de pensée en le jugeant – hâtivement – non valide ; il faut encore proposer un autre système de pensée plus satisfaisant. C’est bien là le moindre. Détruire, tout le monde sait le faire. Mais rebâtir sur les ruines que l’on a soi-même provoquées, c’est une autre paire de manche ! Or, si les athées excellent dans l’art de chercher à détruire toute croyance religieuse, force est de constater qu’ils sont dans l’incapacité de proposer la moindre explication alternative à l’être du monde – sauf à verser dans le panthéisme ou dans l’irrationalisme.
L’athéisme n’existe donc pas sur le plan philosophique. Il a peut-être l’apparence de la philosophie – mais il n’en a pas la réalité, puisqu’un système philosophique, pour être valide, doit fournir à la raison humaine une réponse satisfaisante à l’être du monde – qui est la première des questions métaphysiques, celle dont tout le reste découle ! En rejetant la doctrine de la Création – au nom d’un athéisme radical arbitrairement proclamé – les philosophes matérialistes privent l’univers de toute raison d’être. Et comme l’univers n’a pas de raison d’être du tout, il devrait, pour bien faire, ne pas exister, pourtant le problème, c’est qu’il existe !
Conclusion
Dire qu’il n’y a pas de Dieu revient à dire que l’univers possède les caractères de la divinité. Mais alors, si les mots ont un sens, nous ne sommes plus dans l’athéisme ; nous sommes dans le panthéisme. C’est donc aux athées de nous expliquer comment ce qui est contingent, mortel, dépendant a pu se donner l’existence ? Par quelle manière magique un être qui ne détient son être que d’un autre, et il en va pour les êtres vivants comme pour l’univers dans son ensemble, a-t-il bien pu se donner la vie à lui-même ? L’athéisme n’a donc aucun sens, et sa pseudo-rationnalité est une totale illusion.
C’est pourquoi, devant son impuissance à pouvoir rendre raison de l’existence du monde, l’athéisme aboutit fatalement à un barrage d’ordre dogmatique. Et quel est ce dogme ? Un dogme païen : l’univers est divin !
L’athéisme aboutit fatalement à un dogme païen : l’univers est divin !
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