Pourquoi en finir avec les nations unies ?
Si nombre d’expressions utilisées dans les milieux journalistiques m’irritent, il en est une que je trouve plus insupportable que toutes les autres : « communauté internationale ». Quand j’entends « la communauté internationale décide », ou « la communauté internationale condamne », ma réaction immédiate consiste à demander tout haut : qui donc ? Je connais la réponse, cela va de soi. Il s’agit des Nations Unies.
Celles-ci sont une organisation, c’est exact. L’organisation est internationale, c’est exact encore. Mais, « communauté » ? Qu’ont donc en commun les pays membres des Nations Unies en dehors d’être des pays ? Qu’est-ce qui permet de placer dans une même catégorie les États-Unis et l’Iran, l’Arabie Saoudite et le Royaume-Uni ? Qu’est-ce qui permet d’insérer dans une même grande enveloppe des démocraties et des dictatures, des pays qui respectent les principes élémentaires du droit et des régimes totalitaires ?
Il s’agissait au départ, je sais, de créer une enceinte de règlement pacifique des conflits sur la terre. C ’était après la Seconde Guerre Mondiale. Il existait une majorité de démocraties, une minorité de dictatures et, surtout, un régime totalitaire qu’il fallait circonscrire et endiguer. Dès lors que le régime totalitaire en question a été doté d’un droit de veto sur toute décision, dès lors, aussi, que ce régime s’est doté de satellites, puis que d’autres contrées ont elles-mêmes basculé dans le totalitarisme, l’organisation a été en état de paralysie. L’assemblée générale où la règle est « un pays une voix », que le pays ait mille habitants ou qu’il en ait un milliard, est devenue l’arène de multiples dialogues stériles. L’instance chargée de trancher, le Conseil de Sécurité, n’a rien tranché du tout : tout ce qu’a voulu Washington a fait l’objet l‘un refus de Moscou, et tout ce qu’a voulu Moscou a fait, logiquement, l’objet d’un refus de Washington.
Dans les années qui ont suivi, la situation, déjà navrante, s’est considérablement aggravée. La décolonisation a vu émerger des dizaines de pays nouveaux, et autant de membres supplémentaires des Nations Unies qui, pour la plupart, n’étaient pas des démocraties et qui, presque tous, penchaient du côté soviétique. Nombre de ces pays se sont regroupés dans une instance appelée « Mouvement des Pays non Alignés » (comprenez : non alignés sur le monde occidental) et ont fait bloc. La montée en puissance de l’islam militant, qui allait bientôt devenir islam radical a conduit les pays musulmans, souvent « non alignés », à se doter d’une structure en laquelle ne sont admis que les pays où la population en son immense majorité ou en sa totalité vénère Allah : l’Organisation de la Conférence Islamique. Et celle-ci a fait bloc elle aussi.
La conjonction et le recoupement de ces deux blocs venant s’ajouter au poids des régimes totalitaires et de l’Union Soviétique a fait que des majorités écrasantes ont pu voter des motions allant du grotesque à l’absolument ignoble et qui, même si elles n’ont jamais eu aucune chance d’être mises en œuvre, n’en ont pas moins bénéficié d’un écho certain. Des « commissions » diverses étant chargées de différents dossiers, celles-ci ont été, bien sûr, truffées jusqu’à satiété de membres de ces blocs et de totalitaires, ce qui a donné, de manière récurrente, des résultats qui auraient donné de la verve à Alfred Jarry lorsqu’il écrivait des comédies sur le père Ubu.
La chute de l’Union soviétique et le glissement de nombre de totalitarismes vers des formes apparemment moins strictes de dictatures n’ont rien changé. Les textes « adoptés » à New York, dans l’immeuble vert planté au bord de l’East River sont toujours aussi lamentables. À quelques semaines près, si la guerre qui a tant chagriné Chirac, Dominique de Villepin et leur ami Saddam n’avait pas été déclenchée, l’Irak baasiste aurait présidé la commission sur le désarmement. Un invité fréquent du Conseil des droits de l’homme est le dictateur iranien Ahmadinejad. Voici quelques jours, la Commission sur le droit des femmes a choisi de porter à sa tête l’Arabie Saoudite : un pays où le droit des femmes est quasiment nul et où des clercs religieux peuvent venir exposer à la télévision comment un mari doit s’y prendre pour frapper l’une de ses épouses.
Le seul avantage des débats et échanges est qu’ils permettent parfois que des gens montrent leur vrai visage. Ainsi, la présidente socialiste du Chili, Michelle Bachelet, a-t-elle récemment félicité le… Soudan pour son action en faveur des plus démunis. (Madame Bachelet n’est pas allée jusqu’à faire l’éloge du rôle du général Bashir pour la bravoure dont il a fait preuve au Darfour, mais c’est vraisemblablement parce que le temps qui lui a manqué).
Cet avantage est fort peu de chose à côté des gaspillages financiers impliqués, et à côté des nuisances qui découlent. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est une émanation des Nations Unies et, sur un mode digne des directives données par Staline à des imposteurs tels que Lyssenko, rémunère grassement des laboratoires et des chercheurs à la stricte condition qu’ils trouvent ce qu’on leur demande de prouver : des preuves d’un réchauffement global créé par l’être humain au nom duquel on pourra ensuite, quand bien même il sera avéré que ces preuves sont de l’ordre de la falsification, prétendre créer des bureaucraties agissant sur les cinq continents. L’agence internationale de l’énergie atomique a permis, surtout, ces dernières années, à l’Iran de gagner du temps et d’avancer vers l’arme nucléaire.
Le Conseil des Droits de l’homme ne se contente pas d’inviter Ahmadinejad : après avoir organisé sous son ancien nom de « Commission des Droits de l’Homme » une bacchanale antisémite à Durban, en Afrique du Sud en 2001, il s’est livré au même type d’activités sous son nouveau nom en 2009 à Genève. Et il nomme dès qu’il le peut des « experts » qui rédigent des rapports aussi fiables que le tristement célèbre rapport Goldstone.
Les journalistes qui parlent de « communauté internationale », évoquent les décisions prises par ladite « communauté internationale » en utilisant une autre expression que je trouve, elle aussi, insupportable : « droit international ». Un « droit international » doit exister, sans aucun doute, mais dire que la « communauté internationale » constituée par l’imposture que sont les Nations Unies définit le « droit international », c’est retirer aux mots toute leur signification. D’une même façon, une phrase qui commence par « le Conseil des droits de l’homme condamne » devrait être reçu avec le sérieux qui accueille la plaisanterie d’un clown sous le chapiteau d’un cirque.
La meilleure façon d’éviter qu’on parle davantage encore de « communauté internationale », de « droit international » défini par la « communauté internationale », et de faire qu’on n’entende plus des phrases disant « le Conseil des droits de l’homme condamne » serait que l’ensemble des démocraties quitte les Nations Unies en déclarant d’un commun accord qu’il s’agit d’une organisation qui a fait naufrage, et en envisageant son remplacement par un Conseil des pays libres fondé par des démocraties, et où ne seraient admis que des pays effectivement respectueux de principes basés sur les droits des êtres humains. […passons à l’ACt !] La perspective que je dessine ainsi n’est pas une utopie. Deux Présidents des États-Unis y ont songé, et l’ont dit : Ronald Reagan et George Walker Bush. John McCain, candidat à la présidence contre Barack Obama, avait mis ce point à son programme. Un candidat républicain en 2012 en reparlera sans doute.
Ceux qui diraient que ce serait dangereux pour la « paix mondiale » et le « dialogue » devraient regarder les activités diplomatiques sur la planète : à quoi servent celles-ci, sinon à régler les différends et à passer des accords ? Ils devraient se demander aussi combien de guerres les Nations Unies ont empêché. La réponse est claire : aucune. Quant aux forces d’observation ou d’interposition, là où elles sont vraiment nécessaires, un Conseil des pays libres pourrait se charger de les constituer et de les déployer, en coopération avec des pays dignes de confiance. Cela constituerait un changement utile : les dossiers d’exactions diverses commises par des « casques bleus » en Afrique subsaharienne sont si nombreux que si je devais les aborder, il me faudrait écrire un autre article, et je préfère ne rien écrire sur les boucliers humains alliés du Hezbollah constituant au Sud du Liban ce qu’on appelle la FINUL. Si j’en traitais, je pourrais en venir à me mettre vraiment en colère.