Comment Abolir les droits des personnes morales au nom des droits des individus
Abolir les droits des personnes morales au nom des droits des individus
Une recette géniale pour anéantir progressivement les libertés : en créer de nouvelles !
Les régimes totalitaires vantent les libertés pour mieux les anéantir (Hannah Arendt).
Quels nouveaux droits a-t-on créés ? Ceux de personnes morales -- des entreprises.
Prenez déjà tous les principes néolibéraux gravés dans les traités fondant l'Union européenne ; vous pouvez y voir ces caractéristiques :
- ils consistent tous en l'octroi de "droits positifs" à des entreprises, ou bien en des interdictions faites aux pouvoirs publics (dans l'esprit de la formulation des droits fondamentaux "à l'américaine" : les 10 premiers amendements de la constitution des EUA) ;
- mais ils consacrent le droit de personnes morales, des entreprises, non pas de personnes physiques. Ils établissent aussi des droits pour les personnes non ressortissantes, qui plus est souvent anonymes. En l'espèce, des investisseurs -- mais c'est un peu secondaire, déjà, dans la mesure où, justement, les pouvoirs des personnes morales qu'on a ainsi libérées écrasent ceux des personnes physiques. Un ressortissant étranger seul ne fait évidemment pas le poids devant les banques, les fonds de pension, les grosses entreprises. Par ailleurs, il n'y a évidemment pas d'égalité généralement assurée entre ces personnes non ressortissantes : ce n'est qu'une porte grande ouverte pour les plus puissantes.
- "Marché monétaire" -- cf. mon message censuré chez VGE = droit des banques et plus généralement de la haute finance de ne pas subir l'interventionnisme des États consistant à émettre une part marginale de la monnaie... Précision : la BCE, si elle ne peut pas prêter (a fortiori donner) aux pouvoirs publics dans l'UE, elle n'est pas privée et ne se prive pas d'acheter des bons du trésor des États-unis !
À mon sens, le premier pilier de la domination néolibérale.
Ajoutons ici, évidemment, le "droit de battre monnaie" pour les banques, qui est une vieille affaire.
- Libre circulation des capitaux, y compris en provenance ou à destination de pays tiers (hors UE). L'un des deux piliers majeurs, avec le régime monétaire actuel, de la force de frappe des fonds de pensions, de la spéculation sur les devises, du pouvoir d'influence sur les banques centrales des banques et autres fonds spécialisés dans les produits dérivés, ... « Régressions » interdites en la matière (sauf unanimité ÉM (Nice) – PE impliqué « seulement en marche-avant » c.à.d si plus de libéralisation… (projet Lisbonne)
- Libéralisation des services -- AGCS – idem, mode du "cliquet" ou "verrou" (fondement du droit OMC : sujets = entreprises ; États = instruments) ; PE impliqué pour ratifier si accords "constituants" mais ensuite, plus impliqué, notamment pour la dénonciation de tels accords... pour laquelle l'unanimité des États membres est requise !
- Liberté d’établissement -- cf. notamment les 4 fameux arrêts CJCE de 2008 relativisant en particulier le droit de grève
- Principe du pays d'origine (projets avortés AMI, directive service "Bolkestein", AGCS mode 4, nouveau projet de règlement UE "entreprise européenne)
- Droit de « lock-out » (droit de grève des patrons, c.à.d en fait essentiellement décisions d'entreprises non "familiales")
- Privatisations forcées même par le droit (sans parler des autres facteurs) : création, pérennisation ou développement de services publics interdit dès lors que le domaine est investi par le secteur marchand -- grande subtilité lecture des traités / statut SIEG
- Propriété intellectuelle / brevets -- on pense aux OGM - Monsanto / lobby Europabio (traité d'Amsterdam ; dir. 2001/18 voté par... D. Voynet / transposition (2003) : Parlement fraçais contraint d’abroger une clause qu'il avait voté à l'unanimimité interdisant de breveter des découvertes portrant sur des éléments du corps humain ou des gènes humains)
- … et même ce fameux droit de pétition ! Non seulement une insulte / RIC et leurre terrible, grain à moudre / ouistes, mais un amendement semblable de la constitution des EUA a été à la base du "lobbying act" = droit de lobbying)
Dans la même idée : « assemblée des lobbies » copieusement assimilée à la « société civile » dans le langage "de Bruxelles".
Ces droits-là sont carrément appelés « droits fondamentaux » (du droit européen) par la CJCE elle-même et les analystes reprennent souvent ce terme.
Certains de ces droits (ceux qui sont « positifs ») sont repris dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE.
... Je trouve que la liste se passe de plus de commentaires et de conclusions.
- En remontant plus avant, j'ajouterais :
- Liberté d’expression pour les organes de médias, sans mesure anti-concentration industrielle (et de capital, notamment). Cf. en particulier oligopole de 6 entreprises (d'armement) aux EUA possédant quasiment toute l'édition, médias numériques, presse.
Simone Weill écrivit qu'on devrait interdire la liberté d'expression aux organes de Presse au nom même de la liberté d'expression des individus, notamment les journalistes eux-mêmes.
- Des partis dotés de droits ("Les partis contribuent [...] à l'exercice de la démocratie" ; seuils de constitution des groupes parlementaires ; ...) -- et monopolisant l'accès aux élections -- mais n'ayant aucun devoir... d'assurer une démocratie interne.
Cette recette est géniale parce qu'on n'abolit pas frontalement des droits que pourtant on condamne. Car on sape la constitution (cf. "connaissance de nos droits..." Préambule de 1789)
Et avec ça, on trompe les juristes eux-mêmes... Comment leur faire prendre conscience de ça ? En leur rappelant ceci :
L'état de droit, la garantie des libertés (pour tous) n'est pas possible sans l'égalité. Or, ici on a précisément mis en concurrence des personnes inégales. Par leur force effective, mais aussi par la nature des "objets" apposés. Tandis qu'on entend leur accorder des droits et des libertés similaires.