La Libyan Investment Authority a intenté deux procès contre l'américain Goldman Sachs et le français Société générale, deux groupes bancaires qu'il accuse de lui avoir vendu des produits financiers toxiques et auxquels les gestionnaires du fonds demandent quelque 2,5 milliards de dollars de compensation. Le procès s'ouvre ce lundi devant la Haute Cour de justice de Londres.
Le procès du fonds souverain libyen Libyan Investment Authority (LIA) contre le français Société générale et la banque d’investissement américaine Goldman Sachs s’ouvre ce lundi devant la Haute Cour de justice de Londres.
LIA, créé en 2007 sous le régime du Colonel Khadafi pour faire fructifier les gains du pétrole, a porté plainte au Royaume-Uni contre les deux banques en 2014 les accusant de lui avoir vendu des produits financiers toxiques.
La LIA, dans une plainte introduite auprès de la Haute Cour de justice de Londres en mars 2014, réclame 1,5 milliard de dollars de dommages et intérêts à la Société générale. Le fonds libyen accuse le groupe français d’avoir versé des pots-de-vin à un des proches d’un fils du colonel Kadhafi en contrepartie de supposés services de conseil portant sur l’investissement par la LIA de 2,1 milliards de dollars dans des obligations émises par Société générale et plusieurs de ses filiales fin 2007 et mi-2009.
En janvier 2014, Goldman Sachs était elle attaquée à Londres par la LIA pour « avoir tiré parti du manque de sophistication financière du personnel du fonds souverain libyen pour l’encourager à investir plus d’un milliard de dollars dans des transactions sans intérêt pour lui », selon le texte de la plainte rapporté par Reuters.
Les deux établissements bancaires contestent le bien-fondé des plaintes.
67 milliards de dollars d’actifs
La dernière valorisation de LIA, réalisée début 2013 par le cabinet Deloitte, fait état de 67 milliards de dollars d’actifs sous gestion.
Un trésor que réclament les deux gouvernements opposés en Libye. La légitimité de Hassan Bouhadi, nommé par le gouvernement de Tobrouk à la présidence du fonds, est contestée par Abdulmagid Breish, basé à Tripoli, qui soutient avoir été investi à ce poste en juin 2013 alors que le pays n’avait qu’un seul gouvernement.
En juillet 2015, pour permettre à la justice britannique de statuer sur leurs plaintes contre Goldman Sachs et Société générale, Hassan Bouhadi et Abdulmagid Breish ont, via leurs avocats respectifs, conjointement demandé à la justice britannique de nommer BDO, le cabinet d’audit et de conseil international basé à Bruxelles, pour être le récepteur et le gestionnaire des dossiers litigieux du fonds souverain libyen.
Cependant, faute de la reconnaissance par le Parlement internationalement reconnu de Tobrouk, du gouvernement d’union nationale libyen annoncé au Maroc le 14 février 2016, le juge britannique William Blair (frère de l’ancien Premier ministre Tony Blair) devra d’abord décider de la partie jugée légitime pour représenter les intérêts de la LIA. Le procès doit durer jusqu’au 16 mars et aucun jugement ne sera rendu immédiatement.
Estimée à quelques centaines de milliards de dollars, la fortune des Kadhafi fait l'objet d'une véritable chasse au trésor.
Quelle est la valeur du magot des Kadhafi ? « Quelque 400 milliards de dollars » (environ 360 milliards d’euros), estime l’homme d’affaires tuniso-suédois Erik Iskander Goaied, qui se consacre depuis trois ans à cette chasse au trésor. « Pour la seule Libyan Investment Authority [la LIA, principal fonds souverain à l’époque du « Guide »], les avoirs représentent entre 60 et 65 milliards de dollars, évalue quant à lui l’expert américain Michael Bosco, du cabinet DLA Piper. Pour le reste, notamment le Libyan African Portfolio [un fonds officiellement rattaché à la LIA, mais en réalité très autonome], les avoirs sont beaucoup plus difficiles à évaluer, car leur gestion était plus opaque. » De son côté, Éric Vernier*, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), à Paris, pense que le total des avoirs Kadhafi ne doit pas dépasser 100 milliards de dollars.
L’Afrique du Sud, premier pays d’accueil des fonds Kadhafi
Quelle que soit la somme, elle suscite toutes les convoitises. Depuis 2013, beaucoup de regards se tournent vers l’Afrique du Sud, où, selon la presse, de nombreux actifs libyens sont dissimulés dans une demi-douzaine de banques locales. « C’est le premier pays d’accueil des fonds Kadhafi, devant les États-Unis, la Suisse et l’Italie, confirme Éric Vernier. Du temps du Guide, il y avait beaucoup d’investissements croisés entre la Libye et l’Afrique du Sud. De plus, ce pays est stable politiquement et relativement opaque sur le plan financier. C’est l’endroit idéal pour ce genre de transferts. »
En attendant de savoir qui est légitime en Libye, il vaut mieux que cet argent soit gelé là où il est, assure Éric Vernier
Pour essayer de récupérer ces fonds, les premiers gouvernements libyens post-Kadhafi ont mobilisé quelques hommes d’affaires bien introduits auprès de l’ANC, le parti au pouvoir à Pretoria. En avril 2013, deux d’entre eux ont même réussi à être reçus par le président Jacob Zuma. Mais ensuite, celui-ci a fait la sourde oreille. Surtout, « depuis le début de la guerre civile en Libye, à la mi-2014, tout est bloqué, affirme Michael Bosco. D’ailleurs, c’est aussi bien. Aujourd’hui, si des fonds étaient transférés à Tripoli, ils arriveraient dans les caisses d’une banque centrale où tout le monde peut venir se servir comme il veut, sans aucun contrôle ». Et Éric Vernier de renchérir : « En attendant de savoir qui est légitime en Libye, il vaut mieux que cet argent soit gelé là où il est. » Sous-entendu : si des islamistes touchaient le magot, ils s’arrogeraient un pouvoir exorbitant.
À qui profite le gel du magot ?
Premiers bénéficiaires de ce gel : les grandes banques internationales, qui conservent pour l’instant cet argent libyen sur leurs comptes. Puis les ex-associés américains et européens – italiens, notamment -, qui, pour certains, ont servi de prête-noms au colonel Kadhafi et à ses proches afin de camoufler certains placements. Enfin, bien entendu, ce trésor permet aux rescapés du clan Kadhafi de financer leur cavale. Avant sa capture en Mauritanie, en mars 2012, Abdallah Senoussi, le chef des services de renseignements du régime Kadhafi, se soignait dans les meilleures cliniques du Maroc grâce à des fonds d’origine inconnue. Aujourd’hui, Béchir Saleh, l’ancien directeur de cabinet du « Guide », vit confortablement du côté de Johannesburg. Comme il était l’un des grands argentiers du régime Kadhafi, on devine aisément pourquoi il a choisi l’Afrique du Sud comme pays-refuge…
Si la guerre civile s’arrête un jour, les Libyens reverront-ils l’argent de leur ancien dictateur ? CCFD-Terre solidaire en doute. En 2009, l’association s’était aperçue qu’après la chute de grands despotes comme le Philippin Ferdinand Marcos ou l’Haïtien Jean-Claude Duvalier « moins de 5 % des avoirs avaient été restitués »…
* Éric Vernier, auteur de Techniques de blanchiment et Moyens de lutte (Dunod, 2013) et de Fraude fiscale et Paradis fiscaux (Dunod, 2014).
http://www.jeuneafrique.com/mag/300221/economie/libye-piste-milliards-clan-kadhafi/