« Les Etats-Unis sont en train de donner des coups à la Chine et à la Russie, mais le « dernier coup d’ongle » sera pour l’Iran qui est le principal objectif d’Israël, dit-il. D’ailleurs l’Europe a compris que l’épreuve de force arrive et se dépêche de se constituer en un seul Etat cohérent. Oh, combien j’ai rêvé de ce délicieux moment ! Et d’ajouter plus loin : « la prochaine guerre sera si sévère que seule une superpuissance peut gagner et ce sera nous. Et si vous êtes un homme ordinaire, il faut vous préparer à cela en vous repliant dans une ferme à l’intérieur des terres, mais n’oubliez pas d’emporter des armes avec vous pour vous défendre des hordes affamées. Quant aux élites, elles seront à l’abri dans des paradis protégés » (sic).
« Quant à nos militaires, poursuit M. Kissinger, nous leur avons demandé de mettre la main sur sept pays du Moyen-Orient pour leurs ressources naturelles et ils ont accompli le travail. Reste cependant l’Iran. Mais c’est quand l’Ours russe et la Faucille chinoise se réveilleront, qu’Israël doit se battre avec toutes ses armes et tuer autant d’arabes qu’il pourra. Si tout se passe bien, la moitié du Moyen-Orient sera israélien ».
M. Kissinger conclut cette interview sinistre en prédisant : « De ces cendres nous construirons une nouvelle société et il ne restera qu’une seule superpuissance et ce sera l’avènement du gouvernement mondial. N’oubliez pas, les Etats-Unis ont les meilleurs armes et du matériel qu’aucune autre nation n’a et nous montrerons ces armes au monde quand le moment sera venu ».
Même si ces « prophéties » peuvent prêter à sourire vu l’état actuel de la puissance américaine, elles sont à méditer car à 89 ans Henry Kissinger reste, à l’instar de son collègue Zbigniew K. Brzezinski, un inspirateur actif de toutes les stratégies de domination mondiale développées depuis la Seconde guerre, par les Etats-Unis et par les centres de pouvoirs occultes qui écument la géopolitique mondiale. D’ailleurs, l’évolution de la situation géopolitique du Moyen-Orient et autour de l’Iran, commencent à corroborer les prédictions de M. Kissinger. La désarticulation de l’Irak, la mise sous contrôle militaire des pays du Golfe et de leurs réserves de pétrole, la mainmise sur la Libye et son pétrole, la tentative d’iraquisation de la Syrie et de récupération des « printemps arabes », sont autant de coups sur l’échiquier qui s’inscrivent parfaitement dans cette vision kissingérienne. Cependant le grand jeu ne fait que commencer par petits pas et la 3ème Guerre mondiale aussi.
Les ingrédients de la conflagration
Le facteur iranien
Avec l’arrivée au pouvoir de la révolution islamique en 1979, l’Iran et son pétrole ont échappé à la sphère d’influence anglo-saxonne. Mais, originalité de la révolution iranienne, ce pays, au lieu de tomber sous la coupe d’une autre sphère de puissance, a préféré s’ériger lui-même en puissance régionale. Alors que le nouveau régime n’avait qu’un an d’existence, l’Iraq fut encouragé à lui déclarer une guerre atroce qui dura huit ans et au cours de laquelle toutes les armes disponibles à l’époque chez les deux belligérants, furent utilisées, y compris l’arme chimique. La paix revenue, le pouvoir à Téhéran s’est attelé pendant plus de trois décennies à se doter d’une recherche scientifique et d’une industrie militaire puissantes et d’une économie boostée par l’instinct de survie car ayant pu tenir tête à un dur embargo imposé par le monde occidental. Sur le front des idées, le régime iranien s’est servi avec virtuosité et conviction du ciment religieux et du sentiment nationaliste comme idéologie unificatrice et mobilisatrice, pour maintenir la cohésion nationale face aux attaques psychopolitiques et asymétriques externes.
Plus que cela, le régime iranien s’est mis dans l’idée de se lancer à la conquête de l’énergie nucléaire, pour des besoins civils, ne cesse-t-il d’assurer, mais sans réussir à convaincre Israël et ses alliés occidentaux, les Etats-Unis en tête. Le plus curieux dans cette affaire, c’est que de l’avis de tous les spécialistes militaires de l’armement nucléaire, une éventuelle maîtrise par l’Iran du nucléaire militaire (la production d’une ou de plusieurs bombes atomiques) ne peut en aucun cas représenter une menace réelle pour Israël qui possède déjà et depuis longtemps, entre 200 et 300 ogives nucléaires avec des vecteurs de toutes sortes pour les délivrer sur site. D’un autre côté, en admettant qu’un jour l’Iran arrive à se doter d’une puissance nucléaire militaire significative et opérationnelle, il n’aura aucun intérêt à l’utiliser car ce serait d’une part suicidaire et contre-productif sur le plan stratégique ; et d’autre part inutile puisque tout le monde sait que les salves de missiles à charges conventionnelles, peuvent suffire pour porter des coups décisifs au cœur de la puissance israélienne. En conséquence, le leitmotiv qui dit que l’Iran cherche à se doter de l’arme nucléaire et présentera un danger « existentiel » pour Israël, est pour le moins exagéré pour ne pas dire désinformant. Il est vrai qu’il y a danger mais il est ailleurs, à savoir qu’un Iran devenu puissance nucléaire va nécessairement acquérir une stature géopolitique telle qu’il deviendra un acteur régional et international incontournable ; confisquant du même coup le leadership acquis par Israël après sa victoire de 1967. Les enjeux sont donc moins cruciaux que ne les laissent percevoir les guerres psychologiques que se livrent mutuellement les différents acteurs de ce conflit, qui menace de se transformer en conflit armé de dimension universelle. Au stade actuel des choses, seules les opinions publiques qu’elles soient nationales ou internationales, sont les victimes de cette guerre psychologique croisée et tous azimuts.
Le facteur israélien
De tous les adversaires actuels de l’Iran (et ils sont nombreux dans le camp occidental), Israël est le plus acharné. Les leaders israéliens, toutes couleurs politiques confondues, sont unanimes pour estimer qu’un Iran nucléaire représenterait un danger « existentiel » pour leur pays. Les déclarations outrancières et maladroites du président de la république iranienne Ahmadi Najad concernant « l’inéluctabilité de la disparition de l’Etat juif », ont pour effet de crédibiliser ce crédo. Néanmoins, tous les experts savent que vu le rapport des forces conventionnelles et de destruction massive (nucléaires notamment) ne permettent pas à l’Iran de détruire Israël, même s’il le voulait. Par contre, Israël peut faire un mal terrible à l’Iran lors d’une première frappe, surtout si les armes atomiques ou à neutrinos sont utilisées.
Vu l’état d’esprit des dirigeants israéliens actuels, le recours aux armes de destruction massive à un stade ou à un autre contre l’Iran est envisageable, pourvu que les dirigeants de ce pays commettent l’erreur fatale d’être les premiers à commencer les hostilités ou que, à un stade ou à un autre des opérations militaires, les salves de missiles iraniens infligent des dégâts insupportables aux zones industrielles stratégiques de l’axe Tel-Aviv / Haïfa.
Le facteur américain
Israël n’ayant pas les moyens de terrasser tout seul la puissance militaire iranienne dès la première frappe, celle-ci ne peut se réaliser que si les Etats-Unis et derrière eux les pays de l’OTAN, sont impliqués. Or, de fortes résistances se manifestent aussi bien au niveau de la haute hiérarchie militaire, que dans les milieux politiques américains qui échappent à l’influence de l’AIPAC pour que leur pays ne soit pas entrainé dans un conflit pouvant avoir des conséquences incalculables sur le futur des Etats-Unis en tant que puissance mondiale. En réalité, psychologiquement, économiquement et militairement, les dirigeants américains ne peuvent se lancer de leur propre chef dans une guerre contre l’Iran, sauf s’ils y sont entraînés par une provocation sous faux drapeau, genre dans lequel les services secrets israéliens excellent. A ce propos, Marc Femsohn écrit pour le site israélien Guysen International News: « même s'il ne faut pas leur faire confiance aveuglément, on sent actuellement la pleine détermination des Américains et des Européens à faire plier l'Iran. En cas de frappe israélienne, ils interviendront contre Téhéran bon gré mal gré, parce qu'ils n'ont pas le choix ». Une désinformation de ce genre sera d’ailleurs difficile à monter, d’une part parce que le précédent iraquien avec l’histoire des « armes de destruction massive » qu’aurait possédées Saddam Hussein rend désormais difficile de faire avaler des couleuvres du même genre à l’opinion publique américaine et internationale. D’autre part, à chaque fois que la guerre psychologique israélienne, relayée par les caisses de résonance occidentales, atteint son paroxysme et menace de provoquer le point de rupture psychodynamique, les dirigeants iraniens communiquent et jettent du lest. Et, de nouveau on est reparti un autre round de négociations sur le programme nucléaire; ce qui a pour effet de dégonfler momentanément la crise. Avec le temps qui passe, la « menace » iranienne se banalise et les cris « au loup !» israéliens ont tendance à perdre de leur crédibilité.
Le facteur européen
La crise économique et systémique profonde a enlevé à l’Europe l’envie de jouer aux « va-t-en-guerre ». Néanmoins, le Président français M. Sarkozy et la Chancelière allemande Mme Merkel veulent bien participer à l’action psychologique générale contre l’Iran, tant que cela n’implique pas d’engagement militaire ou financier. L’Union européenne étant au bord de l’éclatement et la monnaie européenne étant menacée de disparition, ne peut courir le risque de se laisser entraîner dans une guerre contre l’Iran qui verrait se tarir le pétrole en provenance de ce pays et de la région du Golfe de façon générale. Certes les ministres des affaires étrangères européens se sont réunis et ont déclaré qu’ils allaient arrêter leurs importations de brut iranien, mais que ce boycott ne commencerait cependant qu’en juin prochain. Les Iraniens, en bon psychopoliticiens, ont rétorqué par la voix de quelques uns de leurs parlementaires que l’Iran allait prendre les devants et arrêter d’elle-même toute exportation de pétrole vers l’Europe et qu’une décision dans ce sens allait être prise par le Majliss (Parlement) iranien. Depuis, on n’entend plus parler des menaces européennes et des contre-menaces iraniennes. Pourquoi ? Vous l’avez deviné : tout simplement parce que des pays européens se sont dépêchés de faire savoir secrètement au gouvernement iranien, qu’ils souhaitaient continuer d’acheter son pétrole. C’est du moins ce qu’a laissé entendre le ministre iranien des Affaires étrangères, M. Salehi, dans une interview diffusée le samedi 4 février 2012 par la chaîne de télévision du Hizballah « Al Manar ».
MAE iranien Ali Akbar Salehi dans son interview à Al Manar
Le facteur russe et chinois
Le rôle de la Russie et de la Chine sur la scène internationale est en train de muter de façon accélérée et les occidentaux n’ont pas l’air de s’en apercevoir, ce qui risque de leur réserver des surprises désagréables dans un proche avenir. En effet, ces deux puissances montantes viennent d’affirmer leur volonté d’endiguer l’expansion impériale occidentale, en opposant d’un seul élan leur ferme véto à une résolution contre la Syrie concoctée par les occidentaux, lors d’une séance du Conseil de sécurité de l’ONU tenue le samedi 4 février 2012.
Les délégués chinois et russe levant la main pour voter contre la résolution (Photo:Donia Alwatan)
Cette séance du Conseil de sécurité et ce vote solidaire des Russes et des Chinois, entrera dans l’Histoire car il aura inauguré une nouvelle ère dans les relations internationales, à savoir leur multipolarisation après une phase de monopolarisation sous leadership américain, qui aura duré de l’invasion de l’Iraq en 2003 au retrait des troupes occidentales de ce pays en décembre 2011. Ce déclin de la puissance occidentale va être consolidé par le prochain retrait d’Afghanistan, l’échec de la tentative de désarticulation de la Syrie, la renaissance de l’Iraq qui deviendra une puissance régionale militaire et économique dans les dix ans à venir grâce à ses propres potentialités et à l’aide multiforme généreusement accordée par l’Iran. Il est à prévoir que dès que l’actuel premier ministre iraquien M. Malki aura consolidé son pouvoir et éliminé les hommes des Etats-Unis et de la Grande Bretagne (le leader sunnite M. Hachemi est déjà sur la touche et M. Allaoui et sur le même chemin), les Etats-Unis vont être invités à faire un second retrait, cette fois-ci d’une grosse partie de leur 15.000 « agents » diplomatiques. Le récent appel du leader shiite Moktada Sadr, contre la présence des drones de la CIA dans le ciel iraquien, est le signe avant-coureur de cette évolution.
Entre-temps, les Russes et les Chinois qui comptent bien faire payer aux occidentaux le tour qui leur a été joué en Libye, peuvent se payer le luxe de voir tout un édifice géopolitique s’effriter petit-à-petit.
Le facteur « Pays du Golfe »
Pour la première fois de leur histoire, ces pays d’habitude prudents et frileux politiquement, ont accepté le rôle que leur ont demandé de jouer les Etats-Unis dans la recomposition géopolitique du nouveau Moyen-Orient cher à Israël et aux néoconservateurs américains. Ce rôle consiste essentiellement à financer et à procurer une couverture diplomatique aux projets occidentaux dans la région. C’est ce qui fut fait en Libye, au Soudan et c’est ce qui est en train de se faire contre le régime syrien. Néanmoins, la terre est en train de bouger sérieusement sous les pieds des deux principaux béliers de tête engagés dans cette aventure, à savoir l’Arabie saoudite et le Qatar. Outre les problèmes que posent les processus de succession politique et de passation des pouvoirs entre les générations de dirigeants, ce qui entraine ipso facto une fragilité politique des régimes en place, ces deux pays risquent gros en se hasardant sans stratégie de recul dans une mêlée de titans. Les dirigeants iraniens ont été clairs : au cas où leur territoire et leurs intérêts vitaux comme la capacité d’exporter leur pétrole, seraient attaqués par Israël ou par une coalition comme celle qui a envahi l’Iraq, les pays riverains du Golfe arabo-persique ne seront pas épargnés. Le fait est que tous les centres névralgiques (centrales de désalinisation d’eau, centrales électriques, raffineries de pétrole et autres infrastructures pétrolières ou gazières, etc.) sont à portée de missiles iraniens. Selon ce scénario apocalyptique, seule la Mecque restera intact, sauf si les Israéliens la bombarde par un faux avion ou missile iranien, ce qui serait une opération sous faux drapeau qui viserait à monter l’opinion arabe et musulmane contre l’Iran.
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